«
Je n’ai rien vu de plus étonnant que cette étonnante côte d’Opale contemplée du haut du Bokor
Dans un même lieu, jouir de la vue splendide des couchers de soleil sur la mer et de la fraîcheur des hautes altitudes, quel rêve! Avoir l’impression de l’immobilité que donne la masse, et voir à ses pieds, mille mètres plus bas, comme des points sur l’horizon, les voiles fuyant sur le flot, c’est là un spectacle unique. Allez le voir, me dit un ami qui revenait du Cambodge, j’ai bien voyagé, mais je n’ai rien vu de plus étonnant que cette étonnante côte d’Opale si bien nommée, contemplée du haut du Bokor. D’ailleurs, ajouta-t-il, que faites-vous ici ? L’inauguration du Palace, construit sur cette énorme falaise, de mille cinquante mètres de haut, a lieu d’ici quelques jours et vous ne pouvez manquer une telle solennité. »
Je l’ai pourtant manquée; ce fut la faute des circonstances. Je ne le regrette pas. On distingue mal, au travers du brouhaha d’une fête; l’esprit est ailleurs; or, le journaliste ne regarde pas seulement pour lui, Il regarde pour les autres; du moins il devrait se pénétrer de cette idée qu’il est là pour les autres. C’est une question de conscience professionnelle.[…]
La double inauguration, dans le Protectorat voisin, à quelques jours d’intervalle, de la station d’altitude du Bokor et du monument aux morts du Cambodge, a marqué l’heureuse réalisation de deux projets particulièrement chers à M. Baudouin.
En même temps qu’à ceux qui ne sont plus, songer à ceux qui restent; à ceux qui restent, c’est-à-dire à ces Français du Cambodge: coIons, fonctionnaires, industriels, dont l’organisme, dont la santé compromise par un long séjour ne s’accommodent pas toujours de la chaleur, des émanations fiévreuses de la forêt, du surmenage.
D’où le Bokor.
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LE BOKOR
Le Bokor, c’est Dalat mis à la portée de nos compatriotes habitant le Cambodge. C’est la station climatérique que possèdent ces parties de l’Union: le Tonkin, l’Annam et la Cochinchine. Un Dalat mis à la portée de l’élément européen du Siam proche. Grâce à l’ouverture du port de Réam, dont je parlerai plus loin, Bangkok est à quarante heures à peine du Bokor. On met trente-six heures, par la voie de mer, de Bangkok à Réam; de ce dernier point, en auto, on gagne l’embranchement de la montagne (82 kilomètres) puis, par la route d’accès (42 kilomètres) le Bokor, deux jours de voyage en tout, dans les conditions les plus satisfaisantes, —Le Maurice-Long, de la Société dès Affréteurs Indochinois, étant de nature à satisfaire pleinement les passagers qui veulent bien se confier à lui.
Le Bokor, c’est Dalat sans l’inconvénient majeur de cette dernière station: les brusques variations de température que peuvent craindre, à bon droit, les malades et convalescents dont l’organisme est affaibli déjà, donc incapables de supporter, sans transition, un froid excessif. C’est encore le Tam-Dao, sans les difficultés d’accès de cette dernière station.
Le Cambodge avait déjà sa station balnéaire: Kep, qui est au Protectorat voisin ce que le Cap est à Saïgon et à la Cochinchine, ce que Doson est à Haiphong et à sa population européenne. Mais, une plage, cela ne suffit pas. On y trouve le calme, le repos, assez rarement la santé, lorsque celle-ci déjà est ébranlée et menacée par les ennemis sournois qui dans ces pays tropicaux, plus qu’ailleurs la guettent.
Écoutez ce que dit l’éminent Docteur Vallet, Directeur du Service local de la santé du Protectorat du Cambodge:
« En quelque saison que ce soit, le voyageur qui monte au Bokor éprouve une sensation de bien-être intense: la fatigue causée par la chaleur qui règne dans la plaine disparaît, la respiration est plus facile, les {forces vitales semblent s’accroître. Plus d’essoufflement, plus de transpiration, une réaction salutaire se fait, et telle personne, pour qui la marche en ville était une fatigue, se promène allègrement sur le plateau.
Presque tous, au bout de quelques jours, retrouvent les forces perdues
«Tel qui n’avait plus d’appétit se sent soudainement affamé. Celui qui ne dormait plus éprouve une sensation de délassement et retrouve !e sommeil. Il y a des personnes qui ressentent un tel soulagement qu’elles passent leur temps à dormir et à manger. L’on peut dire que presque tous, au bout de quelques jours, retrouvent les forces perdues.
«Le climat de Bokor se classe parmi les climats d’altitude subtropicaux de Martone, c’est-à-dire qu’ils présentent une saison sèche et une saison des pluies, toutes les deux nettement tranchées. Toutefois, ils ont de commun avec les climats d’altitude tempérés une diminution notable de la température au fur et à mesure que l’on s’élève, une diminution de la pression atmosphérique et du degré hygrométrique de l’air suivant les saisons.
La loi de Loisil donne pour les climats tempérés une diminution de 1° centigrade par 180 mètres d’altitude. Des observations faites par MM. le Dr Berret, médecin de Kampot et Jubin, chargé du Cadastre de la station, il résulte que la diminution pour le Bokor est de 1° centigrade par 130 mètres. — C’est-à-dire qu’il y a environ 8 degrés de différence avec la température du niveau de la mer. La température moyenne de Pnom-Penh étant de 27°7, celle du Bokor ressort à 19°7, différence considérable. La plus forte température enregistrée a été de 22°7 en mai, et la plus basse de 14°6 en janvier pour l’année 1924.
Un des grands progrès réalisés pour le bien-être des Européens vivant au Cambodge
Le meilleur moment pour s’y reposer va du 1er novembre au 15 mai, période de la saison sèche, où la pluie et les brouillards sont à peu près inconnus.
Les mois de mars et d’avril sont au Cambodge et en Cochinchine les plus chauds de l’année avec un potentiel électrique maximum car les orages qui se forment n’éclatent pas et mettent les nerfs des malades à une dure épreuve. Il est précieux d’avoir à portée de soi (180 km. de Pnom-Penh) une station où la température, soit fraîche, et dont l’altitude est sédative. Malgré toutes les imperfections que l’on peut lui reprocher, le Bokor est et restera un des grands progrès réalisés pour le bien-être des Européens vivant au Cambodge, progrès dus à la sollicitude d’un Chef soucieux de la bonne santé de ses administrés.»
AU BOKOR, LE DIMANCHE MATIN
Les voyageurs viennent d’arriver. Les hôtes de l’hôtel, dont nous sommes, s’apprêtent, d’autre part, à aller visiter, celui-ci la grande cascade de Popok-Vil, celui-là la Station d’Agriculture, du Val d’Émeraude. Notre photo rend assez bien cette animation habituelle du dimanche et des jours de fête.
L’histoire du Bokor, en cambodgien Baûk-Kou (la bosse,du bœuf) a ici sa place. Ce lieu était, il y a six ans à peine, occupé par l’épaisse forêt vierge. Le travail à exécuter était donc formidable, titanesque. Il fallait, pour le mener à bien, une volonté ferme, la ferme détermination de réussir, ayant commencé. La première chose à faire était de percer la route, à travers les blocs de blocs de roche accumulés, de jeter des ponts sur les gouffres béants; ensuite, ce serait, le plateau étant atteint, l’édification de la station même. Le nom du regretté M. Fabre, ingénieur des T. P., mort depuis, est inséparable de cette besogne du début; de même, les noms de MM. Jubin et Gourgand resteront attachés à l’histoire du Bokor; ils ont été les bons ouvriers de l’œuvre rêvée, puis entreprise par le Chef actuel du Protectorat voisin. À ces noms il convient, pour être juste, d’ajouter les noms des Résidents Rousseau, Poiret, Richomme, qui, pour une large part, coopérèrent à la création de la station du Bokor.
Des Annamites occupés à rechercher certaines plantes médicinales
J’ai vu là-bas M. Jubin; il m’a conté, en termes sobres, l’histoire du Bokor, forêt en friche fréquentée seulement par quelques rares Annamites, occupés à rechercher certaines plantes médicinales. Vivant à la façon des Moïs de la région de Djiring et Dalat et ne regagnant Kampot qu’au bout de plusieurs mois, les provisions les plus usuelles nécessaires à leur existence étant épuisées. Rien de commun avec cette tribu de sauvages dits «Saoch» qui vivent disséminés dans la montagne de la région, et, dont on chercherait en vain quelques représentants dans les environs immédiats du Bokor. Peut-être s’y aventuraient-ils autrefois, avant la construction de la route. Mais c’est peu probable. La faune et la gent ailée des plateaux hésitaient elles-mêmes à monter vers ces hauteurs. Et ce qui caractérisait cette forêt, c’était son silence. Aujourd’hui, le chant des oiseaux et le roucoulement des ramiers mettent de la gaieté dans ces lieux autrefois solitaires…
Les premiers Européens montés au Bokor pouvaient circuler par les sentiers d’éléphants
L’éléphant, hôte très ancien de ces lieux autrefois sauvages et livrés à la sylve épaisse, a donné son nom à ce formidable massif dont fait partie le Bokor. Seuls, des sentiers, tracés dans la forêt par le passage constant de ces énormes animaux, trahissent leur ancienne présence. C’est par ces sentiers, où le sol demeure durci par le poids des pachydermes, que les premiers Européens montés au Bokor pouvaient circuler, sans trop user du coupe-coupe. Aujourd’hui, l’éléphant sauvage, reculant devant l’avance de l’homme, s’est enfoncé et éloigné dans l’épaisseur des forêts.
UNE JOLIE VUE PANORAMIQUE PRISE
DE LA TERRASSE DE BOKOR-PALACE
À gauche, la plaine et la mer. À droite., la route courant à travers le plateau. La maison de gauche, dont on aperçoit le toit allongé, est la villa du Résident supérieur, devant laquelle l’on passe cinq minutes après avoir quitté le Bokor.
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KAMPOT ET
LA ROUTE DU BOKOR
Nous roulions en auto, le 14 mars, dès six heures du matin sur la route de Pnom-Penh à Kampot, fort bien ombragée sur une partie de sa longueur. Nous dépassions les lourds convois: camions, autos de service bondées de voyageurs et charrettes, à bœufs cambodgiennes assez semblables, en leur forme, à de petites maisons roulantes, cachant à tous les yeux leur contenu..
J’ai dit: nous roulions en auto; ceci mérite explication. Cet excellent M. de Campocasso, directeur du Musée économique du Protectorat, s’était offert à m’accompagner; je lui dois, ainsi qu’à son aimable compagnie, d’avoir effectué ce voyage dans les meilleures conditions, sa grande connaissance du pays et sa mémoire étonnamment fidèle remplaçant avantageusement guide absent et monographies dont j’avais jugé inutile de m’encombrer. […]
Quittant Saïgon un dimanche matin, à 6 heures, on peut aisément dîner au Bokor le soir
Un peu plus loin, à 8 km., se présente un embranchement: c’est la route de la montagne, qui conduit à la station du Bokor. Une heure et demie de montée encore, cela fait quatre heures de trajet au total. Le Saïgonais, quittant Saïgon un dimanche matin, à 6 heures, par exemple, peut aisément dîner au Bokor le soir; il aura couvert en neuf heures l’assez courte distance qui sépare la capitale cochinchinoise de la station cambodgienne.
Cependant, au fur et à mesure que l’on avance, la température diminue. On était en sueur au bas de la route, malgré la vitesse de l’auto; on sent déjà, après quelques kilomètres de montée, qu’un veston de drap ne serait pas de trop.
De loin en loin, des «trous d’eau» où il est loisible. à l’automobiliste de donner à boire à sa machine trépidante qui a soif. Je profite d’une de ces haltes de quelques instants pour examiner avec plus d’attention une plante qui se voit partout et dont les fruits, multipliés à l’excès, mettent dans la végétation luxuriante, à droite et à gauche de la côte, d’innombrables petits points rouges. On dirait, en vérité, des framboises. L’aimable M. de Campocasso, dont la voiture s’est arrêtée à quelques mètres, m’explique qu’il s’agit d’une sorte de framboise, l’arbousier, originaire de l’île de la Réunion. Ce fruit est appétissant à voir, un peu, fade de goût, mais, additionné de sucre et de vin, il peut constituer un dessert excellent tout autant que rafraîchissant. Cette plante était ignorée, il n’y a pas longtemps, sur ces hautes terres; quelqu’un eut l’idée de semer à tout hasard quelques graines. Le vent et les oiseaux, semeurs inégalés, se sont chargés du reste.
Aujourd’hui l’arbousier pousse partout, est partout. A trente mettre à peine de Bokor-palace avec lequel je vous ferai faire connaissance tout à l’heure, on en trouve en abondance. Il y a là une utile indication à retenir. L’exquise mûre de France et tant d’autres fruits excellents ne demanderaient certes qu’à venir et produire, avec ce climat merveilleux qui est celui de la France. Il suffirait de peu de chose pour cela, de quelques. graines jetées au vent. Et cette perspective de trouver, le long de la route, ces bonnes choses malheureusement ignorées à la colonie, serait un agrément de plus ajouté à l’attrait de ce joli voyage vers la station climatérique du Bokor.
Huit cents prisonniers, condamnés de droit commun, employés à la création de cette route
Pendant que mon auto monte la côte en deuxième vitesse, je me surprends à songer à la somme de travail que représente à elle seule cette route, bordée de hauts et beaux arbres aux magnifiques frondaisons, au travers desquelles l’œil bientôt est appelé à contempler le spectacle le plus majestueux qui se puisse imaginer. On m’a cité le chiffre de huit cents prisonniers, condamnés de droit commun, employés à la création de toutes pièces de cette route. Et ceci nous est une nouvelle preuve de la bonté du système qui veut que la main-d’œuvre pénale ne reste pas inactive. Un pays où les condamnés travaillent, ne passent pas, leur journée à balayer des allées sous le regard béat d’un surveillant somnolent, est un pays qui, plus rapidement qu’un autre, est appelé à se développer, à voir les entreprises se multiplier sur son sol, pour le plus grand profit de tous.
Le coquet chalet de la résidence de Kampot
L’auto monte, déjà la région verdoyante de Kampot apparaît au-dessous. La rivière de ce nom allonge là-bas son ruban lumineux. On domine des ravins, des précipices où l’on voit, en pensée, des torrents d’eau dévaler à la saison des pluies (de juin à septembre) pendant laquelle un séjour au Bokor n’est pas à conseiller. Puis, à un moment donné, la vue embrasse de nouveau la plaine immense. Au kilomètre 22 s’élève le coquet chalet de la résidence de Kampot. L’ascension est terminée; la température est maintenant idéalement fraîche, le golfe s’offre à la vue,à près de mille mètres plus bas, dans toute sa tranquille beauté. Ici un promontoire s’avance, là se dessine la forme d’une baie; la mer environnante est d’huile.
UN ASPECT DE LA ROUTE D’ACCÈS DU BOKOR
(Vue prise du kilomètre 16)
Sur les nombreux ravins, au fond desquels d’énormes blocs de roche s’entassent, on a jeté des ponts d’une solidité dont la photo ci-dessus vous donnera une suffisante idée. L’eau, venue des hauteurs, pourra dévaler à l’époque des grandes pluies… Elle n’emportera rien.
Mais laissons là le kilomètre 22, auquel nous nous proposons de revenir, et continuons notre route vers le Bokor. Bientôt, à un tournant de la route, la masse imposante du,Palace apparaît. Un regard à droite, pour la jolie villa du Chef du Protectorat, qui s’élève en bordure de la route, et pour les hauts sapins qui, dans le paysage environnant, mettent leur note gaie. À gauche, un étang qui est presque un petit lac, c’est, nous expliquera tout à l’heure M. de Campocasso, le réservoir naturel qui a pour rôle de ravitailler la station nouvelle, ses nombreuses. dépendances et aussi les constructions qui, un peu plus tard, s’élèveront dans les environs de ce site charmant, mieux connu du grand public.
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LE BOKOR-PALACE
J’avais lu quelque part ou bien l’on m’avait dit «Au Bokor on vit dans un brouillard à couper au couteau». Comme si le brouillard, à mille mètres d’altitude, était chose si extraordinaire! La station de DaIat n’a-t-elle pas ses brouillards, et les stations climatériques de France, à juste titre réputées, ne connaissent-elles pas, certains jours, une épaisse brume? Qui songe cependant, là-bas, à reprocher à ces stations ce léger inconvénient?
Le brouillard, c’est le prétexte à récriminer
Le brouillard, c’est le prétexte à récriminer mis à la portée de ceux qui, dans tout ce que qu’ils voient et dans toute oeuvre, qu’il s’agisse du travail de la nature ou du travail des hommes, recherchent matière à critique. Le brouillard du Bokor, qui parfois couvre la mer et la plaine, mais c’est un attrait de plus ajouté à la beauté infinie d’un spectacIe sans pareil. On voit accourir du fond de l’horizon, masse énorme autant que légère, de gros nuages qui, en quelques minutes, ont. tôt fait de. recouvrir ce que vous admiriez l’instant d’avant de la fenêtre de votre chambre, des fenêtres du hall ou de l’une des hautes terrasses du Palace.
Mais ils continuent leur course et la mer, l’île de Phu-Quoc aux contours dentelés, bientôt reparaissent à vos yeux.
Il était midi 30. Vous ai-je dit que le Cambodge est, au point de vue communications téléphoniques, un pays épatant? De Phom Penh, le matin, il est loisible à chacun d’annoncer son arrivée au Bokor, quatre heures plus tard.
— Nous arriverons à telle heure. Tous déjeunerons…
— Bien, Monsieur, vous répond-on au bout du fil.
— Surtout, n’oubliez pas les fraises du dessert.
Car il y a des fraises, d’excellentes fraises au Bokor, en quantité abondante. Et, non seulement des fraises, mais encore tous les légumes de France à peu près; en attendant les fruits.. Une description de la Station agricole du Val d’Émeraude aurait ici sa place; mais chaque chose en son temps; je reviendrai sur la Station agricole du Val d’Émeraude.
Le coup d’œil de l’arrivant, par-dessus la terrasse circulaire du Palace… le temps de constater que le spectacle de cet endroit vaut à lui seul le voyage et nous prenions place à table. Nous étions attendus et nos estomacs criaient famine. Les hôtes du Palace, déjà, occupaient leurs places respectives: ici, des dames françaises de Bangkok venues en villégiature; un peu plus loin, de jeunes ménages: Madame, Monsieur… et bébé à qui quatre semaines de séjour, dans cet air vivifiant et pur, sont appelées à donner des joues fraîches et potelées et de la santé, pour plusieurs mois. La Société des Grands Hôtels Indochinois, au Bokor comme ailleurs, fait bien les choses. Chère excellente, à laquelle est tout disposé à faire honneur tel qui vient d’effectuer, en auto, 180 kilomètres.
L’AVANT-SIESTE AU BOKOR-PALACE
Il fait bon dans les fauteuils confortables du Palace, à l’heure où, le déjeuner terminé, l’esprit est envahi par une douce somnolence. A travers les larges baies vitrées, le soleil darde ses rayons, que l’on ne songe pas trop à éviter. Ce n’est pas ici Saïgon, ni Pnom-Penh.
Puis, l’estomac satisfait, c’est la visite au nouvel, à l’immense hôtel, vraiment digne de porter le nom de palace. La salle à manger est pimpante ; on y prend ses repas par petites tables. Le salon est vaste, agréablement décoré; de larges et moelleux fauteuils vous y convient au repos, le repas terminé. Il y a une cheminée qui fait songer à la France, une cheminée monumentale.
LE PALACE DE BOKOR (Vue prise, de côté)
On voit, à droite et à gauche de notre photo, la terrasse d’où le regard plane à la fois sur la plaine et la mer.
Mais les chambres, par-dessus tout, méritent une particulière attention; elles font grandement honneur à ceux qui décidèrent de leur disposition et de leur aménagement ; ils n’ont rien oublié, rien laissé au hasard. Des larges fenêtres, la vue découvre le paysage environnant et la mer. Il y a un cabinet de toilette et une salle de bain. Le lit est spacieux et confortable; on a cru devoir doter chaque lit d’une moustiquaire, encore que la moustiquaire soit à peu près inutile. on peut dire qu’il n’y a pas de moustiques au Bokor ; du moins ce méchant insecte était inconnu il y a quelques mois encore. Il a été introduit dans la nouvelle station par les autos, les bagages du voyageur; mais. c’est un indésirable, dont on ne sait trop s’il pourra se faire a ce climat qui n’est pas le sien. Donc, pour l’instant, on peut laisser de côté la moustiquaire.
Une terrasse circulaire, en voie d’achèvement, est destinée à clôturer le joli jardin où, il fait si bon, par beau temps, savourer le café.
On projette mieux. Le nouvel hôtel aura, ayant qu’il soit longtemps, sa salle de billard, cependant qu’une grande terrasse vitrée permettra aux voyageurs, lorsque d’aventure le temps sera froid ou pluvieux, d’admirer à l’aise, de leurs fauteuils, le paysage environnant.
Indépendamment du Palace proprement dit, il y a un hôtel annexe, qui porte le nom prometteur d’Hôtel “Beau-Site» composé de bâtiments comprenant chambres (des chambres que l’on s’attache. à rendre très confortables), salle à manger et salon. Il y a un cabinet de toilette dans les chambres avec lavabos et eau courante. Naturellement, l’électricité est partout. L’annexe où, soit dit en passant, le coût du séjour est moindre, est à recommander aux familles nombreuses. Voici, an surplus, les tarifs actllellement pratiqués au Bokor; ils n’ont, on pourra s’en rendre compte, rien d’excessif ni d’exagéré, eu égard à ce parfait confort dont je parlais plus haut, confort auquel le Bokor devra, pour une appréciable part, sa réputation et son succès, un peu plus tard, parmi l’élément étranger du Siam voisin.
PALACE
Petit-déjeuner 0,75
Déjeuner 2,00
Dîner 2,50
Pension sans chambre Complète, pour dix jours. a 4,00 par jour
~ pour vingt jours 3,50
~ au mois 9,00
Chambres 1ère catégorie pour une semaine et une pers. 7,00
~ deux pers. 11,00
Chambres 2e catégorie pour une semaine et une pers. 5,00
~ deux pers. 9,00
HÔTEL BEAU-SITE
(Hôtel annexe)
Petit-déjeuner 08,50
Déjeuner 1,50
Dîner 2,00
Pension (sans chambre) pour dix jour. 3,00 par jour
~ pour vingt jours. 2,50
~ au mois. 70,00
Chambre, pour une personne 2,00 par jour
~ pour deux personnes 3,50
AUTRE VUE DU BOKOR-PALACE
Cette photo nous montre la partie arrière du vaste hôtel. On voit, à gauche, partie de la balustrade circulaire qui limite une terrasse sablée où, lorsqu’il fait beau, les hôtes du Palace, désertant le hall, viennent prendre l’apéritif
Enfin, puisque nous parlons de la question des prix, il faut signaler la très intéressante initiative prise sur la demande du Protectorat par MM. Baluteig et Cambon pour faciliter les transports de voyageurs entre Phom-Penh et le Bokor: un car alpin, extrêmement confortable, part tous les samedis de Pnom-Penh pour y revenir le lundi. C’est le «train des maris» de Deauville, et, chose inimaginable, le prix du transport aller et retour de Pnom-Penh au Bokor est de huit piastres seulement. Aucune station d’altitude en Indochine n’offre de pareilles facilités.
Cette relation sommaire d’un voyage au Bokor n’a rien d’un guide. J’ai néanmoins jugé utile de faire passer sous les yeux de mes lecteurs ce petit tableau des tarifs là-bas pratiqués, très raisonnables. La question prix a son importance, pour qui songe à se déplacer; on est toujours heureux d’être fixé à ce sujet. Voici mes lecteurs fixés.
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La nuit descend. Il y avait tout à l’heure, sur la mer bleue et l’île de Phu-Quoc, dont la masse grise s’étend devant nous, quelques gros nuages. Mais les nuages se sont écartés, à droite, à gauche, très gentiment…
On respire avec délices l’air pur et frais inconnu là-bas dans la plaine. On oublie ses tracas, ses soucis, ses occupations, demain qui vient; on est tout à l’heure présente, on songe à la France, on est gai, on est content, tout à la joie de vivre. Quelques heures d’auto ont suffi pour changer le cours des idées
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Le lendemain —un dimanche— nous sommes dehors dès six heures, avec nos appareils photographiques; la première personne que nos regards rencontrent se trouve être M. le Résident supérieur Baudoin, très occupé à donner ses instruments et son avis autorisé au sujet des derniers travaux qui, activement poursuivis, doivent faire du Bokor un petit Éden. M. Ducuing l’accompagne. Je serre les deux mains aimablement tendues de l’éminent sculpteur et du Chef du protectorat.
M. Baudoin s’étonne:
— Vous, ici, Laugier? Vous avez voulu voir notre Bokor ? Et bien, qu’en pensez-vous, Monsieur le journalistes.
— Je pense, Monsieur le Résident Supérieur, qu’un merveilleux travail a été ici réalisé et que le Cambodge n’a plus rien désormais à envier aux autres parties de l’Union.
Je prends congé de M. Ducuing et de M. Baudoin. La journée est, en effet, chargée. Il a été décidé que l’on visiterait la Station d’agriculture du val d’Émeraude, la grande cascade de Popok Vil et, au kilomètre 22, la Station laitière d’où vient ce lait excellent qui entre, pour une bonne part, dans le rétablissement rapide des malades et des convaleseents au Bokor.
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LA STATION AGRICOLE
DU VAL D’ÉMERAUDE
«L’Agriculture», ainsi appelle-t-on·usuellement la Station agricole du val d’Émeraude, est un immense jardin en terrasses d’où le Bokor tire son approvisionnement en légumes frais, Ies bons fruits de France viendront plus tard. Quelques essais ont donné des résultats très satisfaisants. Pour l’instant, on y trouve en abondance des fraises, d’excellentes fraises, et à peu près tous les légumes: petits pois, haricots verts, tomates, poireaux, choux, choux-fleurs, pommes de terre nouvelles, etc.
LA STATION AGRICOLE DU VAL D’ÉMERAUDE
Figurez-vous un immense amphithéâtre à l’intérieur duquel la main de l’homme a disposé, en guise de gradins, des jardins superposés, où poussent en abondance, en même temps que les légumes les plus variés, d’excellentes fraises.
De la Station d’agriculture du val d’Émeraude au Bokor, la distance à vol d’oiseau est de 1.500 mètres à peine; par laroute, de 6 kilomètres. Là également, il y a peu de temps, la forêt régnait en maîtresse. Le premier coup de hache dans la sylve du val d’Émeraude remonte à juin 1918; depuis, la main-d’œuvre pénale a fait le reste; là où la hache ne suffisait pas, la dynamite intervenait, écartaient les blocs de rocher récalcitrants.
AUTRE VUE DE «L’AGRICULTURE»
On distingue, en haut, au milieu, la maison de l’agent européen de la Station. Elle domine le jardin circulaire; comme fond de décor, la forêt, à laquelle la main de l’homme a désormais assigné des limites.
Aujourd’hui, sous la surveillance d’un jeune Français intelligent, qui n’a pas le temps, je vous l’assure, de s’ennuyer, ce lieu; autrefois sauvage, est devenu un beau jardin où à l’utile se joint l’agréable, sous la forme de belles roses au parfum pénétrant et d’odoriférantes violettes.
Vue d’en-haut, la Station agricole apparaît. comme une immense cuvette; là, des vaches laitières et des chèvres agiles broutent l’herbe verte et drue; ici, la maison du surveillant français s’élève, simple mais suffisamment confortable.
Nous demandons leurs impressions à nos deux compatriotes qui l’occupent. C’est un jeune ménage, extrêmement sympathique,originaire de la Corse. Lui nous dit: «Il y a des moments où nous nous figurons n’avoir pas quitté le pays. Il y a cependant de bien jolis coins en Corse et les amateurs de bon air y sont bien servis. Vous ne connaissez pas la Corse? C’est dommage Eh bien, vous pouvez m’en croire: au point de vue climat, le Bokor vaut la Corse.»
Et c’est là un témoignage qui m’a paru digne d’être rapporté.
LA CUEILLETTE DES PETITS POIS
Un bien réjouissant spectacle qui nous change un peu des genres de culture ailleurs pratiqués. Les deux coolies préposés à cette besogne auront tôt fait d’emplir les deux vastes paniers dont ils se sont par avance munis.
À Popok-Vil, les grande cascades sont à voir. Elles doivent être belles à voir, à l’époque de la saison des pluies, lorsque l’eau afflue de tous les points du plateau. Une bifurcation de la route y conduit. En bas, et aussi loin que va la vue c’est un entassement d’énormes rochers. De trente mètres de haut, l’eau bouillonnante se précipite sur de curieux gradins de granit.
LES GRANDES CASCADES DE POPOK-VIL (bief supérieur)
L’eau, d’une hauteur de plus de trente mètres, se précipite, en bouillonnant, sur un entassement de rochers en gradins. Ce spectacle est beau à voir surtout à l’époque des grandes pluies.
…Et puis, par la route, nous sommes revenus au kilomètre 22 où, nous l’avons dit, s’élève une unique habitation, le chalet de la Résidence de Kampot. C’est encore un coin de France, Un de ces jolis coins des Alpes et de la Savoie dont on se souvient toujours avec plaisir, voire avec un peu d’émotion. À cinq minutes de marche, de belles bêtes au pâturage, dans un décor ravissant, nous regardent venir avec de bons yeux étonnés. Il y a une étable-modèle, semblable aux étables de France, où des vaches grasses à souhait présentent leurs pis gonflés de lait. C’est Justement l’heure de la «traite». Des Cambodgiens, très propres, procèdent devant nous à cette opération; l’étable fleure bon l’herbe et le lait frais. De petits veaux, turbulents s’ébattent aux côtés de leurs mères. Et toujours le lait coule, emplissant peu à peu les seaux, un lait qui brave l’analyse et n’est pas appelé à connaître, comme ailleurs, l’épreuve de l’eau. Allez au Bokor, vous qui aimez le bon lait frais, vous à qui le médecin a ordonné le régime lacté, mais qui hésitez devant les aléas. du lait frais que l’on trouve tant à Saïgon qu’à Pnom-Penh!
VACHES LAITIÈRES AU PÂTURAGE AU KILOMÈTRE 22
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Il y a d’autres choses à voir au Bokor : Il y a Bella-Vista, d’où l’œil, après une heure de marche, peut contempler le plus étrange panorama qui se puisse rêver. Il y a les Cinq Jonques. Il y a les Cent Rizières. Voyageur de passage, on regrette de, n’avoir pas devant soi plus de temps, plus de loisirs. Peut-être ai-je omis de vous dire au début de cet article que notre temps était limité. Nous avions à visiter Réam et sa baie et, après Réam, Kep, la station balnéaire du Cambodge. Et c’est pourquoi, deux jour après notre arrivée au Bokor, nous redescendions dans l’air frais du matin, vers la plaine. […]
“
—
Avril 1925, Edmond LAUGIER