“Elles offrent au blanc des conditions de vie se rapprochant parfois d’assez près de celles qu’il a connues dans la métropole lointaine.”
L’influence du climat sur l’homme est trop connue pour qu’il soit besoin de lui consacrer de longs développements.
Les écrivains de l’Attique expliquaient déjà l’acuité des sens et la finesse d’esprit des Athéniens par la luminosité de leur ciel, et le savant naturaliste allemand Humboldt a défini avec exactitude le climat comme «l’ensemble des variations atmosphériques qui affectent nos organes d’une manière sensible ».
L’Européen ne pouvait abandonner les régions tempérées, berceaux de son enfance, pour vivre sous les tropiques ou l’équateur, sans courir le risque de désordres organiques graves. Même quand il échappe aux maladies endémiques des pays chauds, auxquelles il est particulièrement sensible, comme la dysenterie ou le paludisme et son dérivé, la fièvre bilieuse, les fortes températures, accompagnées des nuits d’insomnie, le conduisent souvent à cet état mental appelé neurasthénie tropicale qui le rend incapable d’un effort physique ou intellectuel soutenu.
Stations d’altitude, stations maritimes, sites thermaux offrent aux Européens, à la bourgeoisie indigène et aux colonies de vacances pour enfants, des séjours de repos où, dans des sites splendides, il leur est possible de retrouver leur santé perdue.
Puisque la chaleur excessive l’affaiblit, l’Européen s’est efforcé d’échapper à la fournaise débilitante en se réfugiant dans des centres rendus plus frais par leur altitude élevée ou par le souffle de la brise marine et des vents saisonniers. C’est ainsi que sont nées les stations climatiques d’altitude et maritimes qui offrent au blanc des conditions de vie se rapprochant parfois d’assez près de celles qu’il a connues dans la métropole lointaine.
Les plus importantes et les plus fréquentées sont les premières, car la chaleur diminue rapidement à mesure que l’altitude augmente. Le Dantec rapporte que, sous les tropiques, une élévation de 100 mètres correspond à un déplacement de 1 à 20° en latitude vers les pôles. Sous l’équateur, un degré de froid correspond à une altitude d’environ 200 mètres. Le Ruwenzori dresse dans le ciel brûlant d’Afrique, à proximité de la Ligne, la glace éternelle de ses arêtes et de ses dômes. De sa base à son sommet l’homme passe de la forêt équatoriale et la neige des cimes alpestres.
On peut donc obtenir à une altitude suffisante le température et les avantages des climats tempérés. De fait, toutes les colonies européennes qui disposent de chaînes de montagnes à proximité de plaines surchauffées ont équipé des stations d’altitude.
En Indochine, la principale est Dalat, située à 1 500 mètres d’altitude (1) dans le Sud-Annam, sur le plateau du Lang-Bian. Explorée en 1897 par le Dr Yersin, la région offre de réelles similitudes avec nos paysages de France. La pureté de l’air, la rareté des moustiques, la fraîcheur de la température (la moyenne des mois les plus chauds ne dépasse pas 20°), l’humidité assez faible, les courants aériens qui ventilent en permanence le plateau assurent à la station une très grande salubrité.
Les Européens fatigués et déprimés par la chaleur continue des plaines, les convalescents y retrouvent leur santé perdue ou ébranlée dans un site dont les splendeurs pittoresques ne sauraient être dépeintes sans sortir des limites de cet article.
Dalat est d’ailleurs plus qu’un centre sanitaire. On y trouve déjà les embryons d’une véritable ville. Placée presque au centre de l’Indochine, elle deviendra peut-être un jour la capitale de notre colonie asiatique.
Après Dalat, les stations d’altitude les mieux organisées sont: au Tonkin, Chapa et le Tam Dao; en Annam, Bana ; au Cambodge, le Bokor ; au Laos, le plateau du Tranninh. Le Bokor et le Tarn Dao ne sont situés qu’aux environs de 1 000 mètres et leur climat, s’il n’est pas aussi bienfaisant que celui des hautes altitudes, est par contre généralement mieux toléré par les enfants et les personnes anémiées.
D’autres massifs montagneux pourraient aussi recevoir des sanatoria, mais il vaut mieux que les pouvoirs publics groupant leurs efforts sur quelques centres particulièrement bien choisis pour la qualité de leur climat, leur position stratégique ou leur proximité d’une grande ville.
Les stations de montagne actuelles répondent à ces trois conditions. Elles suffisent aux besoins de l’armée et de la population civile et sont complétées par un réseau de stations maritimes dont la valeur n’est pas négligeable.
Les plages n’offrent sans doute pas la fraîcheur des montagnes, mais il serait Injuste de leur denier de ce seul fait toute valeur curative. Au bord de la mer, la brise constante et la siccité relative de l’air rendent l’impression de chaleur moins pénible qu’à l’intérieur du pays. Les nuits sont toujours un peu plus fraîches. Les bains prolongés stimulent l’organisme et réveillent l’appétit.
Enfin, il ne faut pas oublier que certains malades ne peuvent pas supporter la montagne et que la station d’altitude est quelquefois trop éloignée du lieu d’activité des fonctionnaires ou des colons pour qu’ils puissent s’y rendre. Ces raisons ont conseillé l’établissement de stations sanitaires maritimes qu’il a été facile de trouver le long des côtes si développées de l’Indochine. Quelques-unes de ces plages comme Kep au Cambodge, le Cap Saint-Jacques en Cochinchine, Nhatrang, SamSon et Cua-Tung en Annam, Hongay et Do-Son au Tonkin, sont très recherchées.
Aux stations de montagne et maritimes, il conviendrait d’ajouter les sites thermaux particulièrement abondants en Indochine. M. Madrolle, dans une plaquette éditée en 1931, a dressé un tableau de quatre-vingt~huit sources de compositions variées. Malheureusement, une seule d’entre elles, à Vinh Hao dans le Sud-Annam, fait l’objet d’une exploitation régulière. Elle donne une eau bicarbonatée sodique, pouvant être bue à la manière des eaux de Vals et de Vichy.
Le reproche que l’on a longtemps adressé à ces stations d’avoir été construites uniquement pour le bénéfice d’une minorité d’Européens
L’hydrologie thérapeutique indochinoise, après une étude sérieuse conduite par des spécialistes, fournirait des moyens curatifs certains. li serait nécessaire d’aménager les sources les plus importantes pour compléter le réseau des stations climatiques que possède déjà l’Indochine. Cependant, on peut d’ores et déjà soutenir que ce réseau, par sa répartition géographique du nord au sud et son échelonnement rationnel depuis la mer jusqu’à la haute montagne, offre des ressources très variées aussi bien à la population indigène qu’européenne.
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Le reproche que l’on a longtemps adressé à ces stations d’avoir été construites uniquement pour le bénéfice d’une minorité d’Européens n’est, en effet, plus vrai et tend à l’être de moins en moins. La bourgeoisie indigène qui s’est constituée depuis notre installation commence à fréquenter la montagne et les plages. Elle y cherche le repos ou la guérison, car l’Annamite, dont l’Indochine semble ne pas être l’habitat d’origine, en supporte mal les chaleurs excessives. Il a constitué des colonies de vacances pour ses enfants dans les stations climatiques. Et, conséquence inattendue, la route qui mène au centre sanitaire de la montagne est devenue une voie de pénétration pour le petit colon annamite.
Celui-ci, que l’on représente attaché à la glèbe de ses deltas, craignant les régions élevées et n’osant s’y établir, a volontiers commencé le défrichement des premiers contreforts des massifs montagneux dès qu’une route bien entretenue lui a donné la possibilité de rester en contact permanent avec la plaine, d’en recevoir les ravitaillements indispensables, de s’y réfugier rapidement en cas de maladie.
La route qui mène de Saigon à Dalat par le col de BIao, bien qu’ouverte seulement en 1931 à la circulation, est jalonnée déjà de plusieurs foyers entièrement spontanés de colonisation rurale annamite avec de petites plantations bien entretenues d’ananas, de théiers et de caféiers et des jardins de manioc, de patates ou de taros. La colonisation européenne peut également trouver dans le voisinage des stations construites sur les hauts plateaux des terres susceptibles d’être mises en valeur par d’anciens soldats ou des Français installés en Indochine sans esprit de retour dans leur patrie.
Ces îlots tempérés deviendraient de véritables campagnes françaises
Ces îlots tempérés deviendraient de véritables campagnes françaises avec leurs petits ou moyens cultivateurs. Un essai de ce genre est tenté actuellement sur le plateau du Tranninh au Laos. Des terrains propices à l’agriculture et à l’élevage y ont été reconnus et, après avoir été lotis en petits domaines, seront donnés, en même temps qu’une bourse de premier établissement, à des personnes qui paraîtront susceptibles de devenir des colons sérieux.
Loin d’être seulement des établissements destinés à procurer à l’Européen une vie agréable dans un décor exotique…
Les stations climatiques peuvent ainsi servir à des fins multiples. Loin d’être seulement des établissements destinés à procurer à l’Européen une vie agréable dans un décor exotique, comme on l’imagine parfois, elles sont le complément indispensable de la colonisation. Elles apportent une contribution certaine au développement de l’Indochine.
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Pierre VARET
Le Monde Colonial Illustré, juin 1938, n°180