Le Bockor
Il ne saurait être question de traiter convenablement, dans un cadre si restreint, un sujet d’une telle ampleur, inséparable, pour qui voudrait l’appuyer d’arguments sérieux, d’une monographie complète du Massif des Éléphants. Aussi bien ne ferions-nous que rappeler la plupart des développements intéressants apportés par le Docteur Berret dans son ouvrage.
Nous nous contenterons donc de promener le lecteur de Kampot au Bockor et nous essayerons, chemin faisant, de lui faire goûter les agréments d’une villégiature dans ce site admirable.
À lui seul, le parcours de la route qui escalade les flancs escarpés de la montagne est un enchantement. Il évoque invinciblement, devant l’imagination émue, les grandioses paysages qu’offrent au touriste les pittoresques routes des Alpes, C’est la forêt profonde,muette, géante, qui vous. enserre, avec, de distance en distance, des échappées de vue féériques sur la mer ensoleillée ou enveloppée de brume; ce sont d’innombrables lacets et des coudes brusques qui vous ramènent, au bout de quelques instants, au-dessus du chemin parcouru, reculant les limites de l’horizon et amplifiant un panorama dejà admiré: ce sont des gouffres vertigineux où grondent de majestueuses cascades, des ravins profonds qu’enjambent des ponts sans nombre. C’est enfin, aprés une heure d’ascension en auto et d’impressions très vives l’arrivée au haut de la montagne, à l’entrée du plateau à près de 1000 mètres d’altitude. Là s’élève, au KM22, le chalet de la Résidence de Kampot. La température est idéalement fraîche; l’air léger vous pénètre jusqu’au coeur des poumons; on se sent pris d’une envie folle d’aller, de venir, de se mouvoir. Le corps semble affranchi des gênes et des rigueurs qui limitaient son activité, là-bas, au fond, dans la plaine.
Le colonial a disparu, on se retrouve en France, on a recouvré son premier “moi”.
Le paysage est merveilleux et le Docteur Berret l’a rendu de main de maître: “En face de lui, au delà du rivage couvert de forêts qui apparaît au pied de la montagne dans un curieux raccourci, où se distinguent le route de Sré Ambel, quelque rivières dessinant leurs méandres et les villages de Koh Tauch, de Prek Kdat, assis près de la plage, c’est la mer, la “grande bleue” avec ses îles, ses multiples archipels aux aspects variés. Phu-Quoc, au centre, les domine par son profil montagneux… À droite, vers l’Ouest, c’est la route maritime qui mène au Siam, route sillonnée de jonques et de chaloupes, dont parfois les voiles ou la fumée apparaissent au loin. De ce côté, la vue est arrêtée en partie par la masse montagneuse du Mont Bockor qui s’érige comme un bastion devant la mer… À gauche, vers l’Est, où la vue s’étend librement, c’est toute une partie du bas Cambodge, jusqu’à la Cochinchine, qui se déploie sous les yeux émerveillés du spectateur comme une immense carte géographique naturelle avec ses reliefs, ses cours d’eau, ses deltas, ses routes, ses forêts, ses cultures et ses villages nettement dessinés…”
Du kilomètre 22, la route court à travers le plateau, le long de la terrasse des Éléphants, sur une longueur de 12 kilomètres, pour aboutir au Bockor qui se dresse à pic sur la mer. “Le Golfe, dit le même auteur, se découvre une fois de plus sur une immense étendue, du côté de la frontière du Siam. […] C’est bien le même panorama de grand style qu’au kilomètre 22. Mais ici, l’effet est plus impressionnant encore à cause des pentes vertigineuses et de ces murailles droites qui tombent dans le vide à 1000 mètres de profondeur”
C’est le Bockor qui a été choisi pour l’emplacement de la station. Déjà un certain nombre de bâtiments y sont construits formant comme le noyau autour duquel viendront petit à petit se grouper villas et services administratifs. Ce sont: la villa du Résident Supérieur, le bureau de poste, l’usine électrique, l’infirmerie, la maison de repos de la Mission.
Bel édifice à deux étages d’une architecture robuste et soignée qui dresse sa masse imposante agrémentée de terrasses et de pergolas du style italien.
Un hôtel immense, qui répond dans ses moindres détails aux nécessités d’un séjour à la montagne et d’où la vue embrase au loin la mer et toute l’étendue mamelonnée du plateau, est en construction et s’achèvera dans un an [1].
[1. Cette Monographie achevée en février 1924 n’est déjà plus au point en ce qui concerne le Bokor où une grande activité continue à se manifester. La station a été brillamment inaugurée le 14 février dernier par M. le Résident supérieur Baudouin en présence de nombreux collaborateurs et admirateurs de son oeuvre. La même date marque l’ouverture officielle du Palace-Hôtel, bel édifice à deux étages d’une architecture robuste et soignée qui dresse, face au Golfe de Siam, sa masse imposante agrémentée de terrasses et de pergolas du style italien. Indépendamment du Palace proprement dit, il y a un hôtel annexe, l’Hôtel Beau-Site, qui n’est autre que l’ancien bungalow agrandi et confortablement aménagé]
Pour l’instant, une confortable maison des passagers, pourvue d’une vaste salle à manger, aménagée avec goût, accueille malades et touristes qui peuvent, grâce aux ressources de la station agricole voisine, faire en même temps qu’une cure d’air, une cure salutaire de légumes et de lait frais. Derrière s’élèvent quatre pavillons de bois renfermant chacun cinq chambres à coucher soigneusement installées avec eau et électricité.
Les environs appellent à de charmantes promenades. Citons notamment: Le Pointu, les Cinq Jonques, où S. A. R. le Prince Monivong a fait élever une pyramide et une pagode, Bella Vista d’où la vue sur la mer est la plus vaste, le Val d’Emeraude qui évoque avec ses cultures savamment disposées en gradin, ses fleurs, ses arbres fruitiers, ses pâturages, son troupeau et son ruisseau, une de nos plus belles exploitations agricoles de France.
—
Ernest Ménétrier
Monographie de la circonscription résidentielle de Kampot
1926