Le Bokor ou la “Folie Baudoin”
Accusé des plus graves méfaits, le triste héros du Bokor est félicité par le ministre des colonies Léon Perrier [lors de son départ à la retraite].
On reproche à M. Baudoin, documents en main, d’être un despote digne de figurer parmi les Tibère et les Néron de tragique mémoire, d’opprimer les populations qu’il est chargé de protéger, avec une tyrannie rappelant les époques les plus barbares du haïssable Moyen-Age.
Précisant le réquisitoire, on le rend responsable de la construction du Bokor- Palace, qui a coûté des millions de piastres au budget et des milliers de vies humaines à une main-d’œuvre recrutée par la force; on lui met sur la conscience le meurtre du résident Bardez, tué par de pauvres bougres pressurés d’impôts; on le désigne du doigt comme le grand coupable dans cent autres affaires de moindre importance, mais dont une seule aurait suffi, dans un pays indépendant, sous un régime équitable, à le livrer au bagne pour le reste de sa vie.
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Toujours ce prestige du conquérant! Autour de la retraite du résident supérieur Baudoin, par E. DEJEAN de la BATIE, L’Écho annamite, 18 novembre 1926
M. Baudoin, Résident du Cambodge, surveille lui-même les travaux de la grande terrasse. Au fond, les prisonniers au travail. Janvier 1925
“Satisfait de ces premiers résultats, M, Baudoin voulut mieux faire encore, pour ses fonctionnaires fatigués d’abord, pour les touristes et l’étranger ensuite. Et il réussit à décider la construction d’un grand hôtel dont l’édification fut cependant assez lente, mais fort curieuse. Car si les plans furent bien effectivement dressés par des architectes, le travail resta presque entièrement l’oeuvre… de prisonniers. Des équipes de condamnés de droit commun firent d’abord, en effet, sauter à la mine les matériaux nécessaires, puis se muèrent successsivement en terrassiers, en maçons, en charpentiers, en peintres, et même… en jardiniers” — Le Monde Colonial illustré, n° 21, juin 1925
“Vous pouvez la monter aujourd’hui sans crainte [cette route]; les soubassements sont à l’épreuve, car ils sont consolidés d’ossements humains blanchis. En haut, en guise du calvaire qui s’imposait — un pardon — c’est un palace qui dresse son orgueilleuse silhouette. Mais, sur ce palace, on a oublié de faire flotter le drapeau noir portant comme emblême un crâne et deux tibias entrecroisés.”
“M. Baudoin, résident supérieur au Cambodge, a réalisé, paraît-il, au Bockor, un chef d’œuvre. pour lequel la presse bien pensante de Saigon a chanté sur tous les tons et en termes dithyrambiques son admiration. Il s’agit d’un palace, luxueux et ultra-moderne, qui a dû coûter pas mal de piastres aux contribuables khmers et que, de parla volonté toute-puissante du super-roi du pays, on a perché là-haut, à environ mille mètres d’altitude.” — Un avocat au procès Bardez. L’Echo annamite, Saïgon, n° 213, vendredi 20 février 1925
M. Baudoin, Résident Supérieur du Cambodge inaugurant une route.“Comme par un remords d’avoir trop tardé, on voulait réaliser vite et grand, à coup de vie humaines et de milliers de piastres. Une frénésie se déchaînait pour l’achèvement coûte que coûte de la route d’accès au plateau de Popokvil et pour l’édification de palaces somptueux.” — Roland Meyer, Komlah
Le Monde Colonial Illustré, n°3, décembre 1923
“Quant à la hâte à construire cette route c’est précisément le grand mérite de M. le Résident Supérieur Baudoin d’avoir voulu la réaliser vite. Dans un pays où les administrateurs changent souvent c’est s’exposer à ne rien réaliser que de ne pas réaliser rapidement et M. Baudoin en avait fait, au Bockor même la cruelle expérience puisque son intérimaire, M. Maspero, par pur esprit de contradiction, avait arrêté tous travaux et cherché à compromettre à tout jamais la réalisation définitive du projet cher à notre collaborateur.” — L’Eveil économique de l’Indochine, 22 mars 1925
Biographie
Né à Nice le 31 décembre 1867, Baudoin commence une carrière au ministère des Finances en 1887, mais part en Indochine comme commis de résidence dès l ‘année suivante, en Annam où il devient en 1895 secrétaire particulier du résident supérieur pendant une tournée au Laos.
Cette tâche délicate lui vaudra d’être nommé chancelier de résidence. Il est commissaire du gouvernement au Laos en 1896. il devient administrateur en 1900, puis administrateur de 1e classe en 1910. Il est nommé résident supérieur au Cambodge en 1911.
L'”Inventeur” de la station du Bokor ne reculera devant aucune dépense ni en argent ni en prisonniers raflés dans les prisons du Cambodge afin de pouvoir inaugurer fastueusement le Bokor-Palace le jour de la Saint Valentin 1925. Les 1000 à 2000 morts parmi les ouvriers de la route du Bokor couplés à l’affaire du meurtre du Résident Bardez quelques semaines plus tard suite à une collecte forcée des impôts lui vaudront de voir son nom accolé à “l’affaire du Bokor” dans les journaux anticolonialistes et à la Chambre des députés.
Il assure par intérim les fonctions de gouverneur général de l’Indochine, en 1922-1923, et prend sa retraite en 1926. Il est titulaire des Palmes académiques, en 1903 et de la Légion d’Honneur, en 1911. Il a écrit plusieurs ouvrages illustrés de ses clichés.
(Sources: FRANOM 82FI)