APPENDICE
Procès-Verbal de Séance de la Commission réunie le 2 juin 1919 dans les bureaux de la Résidence à Kampot, en vue d’étudier les travaux à effectuer pour la création d’une station d’altitude sur le massif des Éléphants.
Conformément à l’arrêté n° 176 en date du 6 février 1919 de M. le Résident supérieur au Cambodge prescrivant la constitution d’une commission pour étudier les installations de la future station d’altitude à créer sur le massif des Eléphants ; Comme suite à la convocation en date du 23 mai de M. le Résident de Kampot; Ladite commission s’est réunie le lundi 2 juin 1919 à Kampot, dans les bureaux de la Résidence. La séance s’ouvre à 9 heures. Sont présents: Président: M. ROUSSEAU, administrateur, Résident de France à Kampot. Membres: MM. DE FLACOURT, chef des Services agricoles. JUBIN, chef p. i. du Service du cadastre. COZETTE, chef, p. i. du Service des Forêts. BAUER, inspecteur principal des Bâtiment civils. FABRE, sous-ingénieur des Travaux publics. Secrétaire: Dr BERRET, médecin de l’Assistance médicale à Kampot. Absent : M. MEYER, administrateur de Services civils, retenu à Phnom penh pour raison de service. M. Meyer s’est excusé par lettre. Désigné dans l’arrêté comme secrétaire, le Dr Berret le remplace dans ces fonctions. Assiste en outre à la séance: M. NAVARRE, sous-ingénieur des Travaux publics appelé à titre consultatif pour fournir des renseignements sur le projet de câble aérien destiné à relier Kampot à la station de Popok-Vil.La discussion est ouverte: M. JUBIN communique la carte de la région.
M. LE PRÉSIDENT donne lecture de la lettre n° 44 adressée par M. le Résident supérieur le 6 février 1919 en complément de l’arrêté précité, indiquant les principales questions qui devront être envisagées par la commission. Il s’agit:
1° De déterminer l’emplacement de la future station.
M. LE PRÉSIDENT. – Conformément aux suggestions de Monsieur le Résident supérieur, nous avons envoyé de Kampot plusieurs missions à l’effet de reconnaître la chaîne au delà de Popok-Vil. Ces missions au nombre de trois ont fait des travaux intéressants; la mission Belou a remonté la rivière de Popok-Vil jusqu’à son origine à une dizaine de kilomètres vers le N.-O.,la mission Boutier a suivi les crêtes et la série des plateaux qui s’échelonnent vers le Nord, la mission Kim Teng a reconnu la vallée du Kamchay.
Toutes trois ont convergé vers le chapeau Chinois, pic culminant qui domine toutes les hauteurs à une soixantaine de kilomètres de Kampot. Mais aucune n’est revenue avec des notions particulières, à utiliser pour l’établissement de la station ni avec quelque indication concernant le fameux lac central dont les indigènes affirment l’existence. Dans ces conditions, Messieurs, je crois qu’il y aurait lieu d’examiner, avant tout autre, l’emplacement situé au dessus de l’ancien Tiong-Poch, dénommé aujourd’hui Bokor, qui domine le versant maritime de la Côte d’Opale, emplacement sur lequel l’attention s’est portée plus spécialement jusqu’à ce jour. Nous verrons d’abord si le terrain se prête à l’établissement d’un poste, puis nous étudierons les questions subsidiaires qui s’y rattachent, à savoir l’alimentation en eau potable, l’éclairage, les moyens de transport, etc.
le village indigène formera un quartier à part suffisamment éloigné pour ne pas gêner le centre européen
La future station devra comprendre les installations suivantes:
1° un bungalow hôtel, avec un terrain de quelque étendue pour prévoir toute extension nécessaire dans l’avenir;
2° les villas du Protectorat, de la Résidence de Kampot et deux chalets pour familles nombreuses;
3° des bâtiments administratifs: Travaux publics avec magasin et ateliers postes et télégraphes, garde indigène, prison, infirmerie.
4° le village indigène avec son marché qui formeront un quartier à part suffisamment éloigné pour ne pas gêner le centre européen.
5° des terrains à lotir et à bâtir pour être cédés aux particuliers.
On commence à délibérer sur le terrain. M. JUBIN montre sur la carte l’espace compris entre le pic du Bokor et le lieu dit des Champignons. C’est là que dans le projet primitif on avait fixé la place du bungalow et le point d’aboutissement de la route de grand tourisme.
Il y là une espèce de plate-forme assez vaste, dont les avancées prennent vue sur la mer; elle correspond à la cote 1053 indiquée sur la carte. Les autres bâtiments prendraient place en arrière et de chaque côté de ce point central, et pourraient se développer au besoin sur une étendue de plusieurs kilomètres. La Résidence supérieure particulièrement s’installerait sur les terrasses qui occupent la partie supérieure du pic ou Phnom Bokor.
Quelqu’un demande si toute cette étendue offrira une assiette suffisante aux bâtiments que l’on veut construire, et si en raison des nombreux mamelonnements et déclivités de cette crête il ne sera pas nécessaire de faire de grands remblais qui exigeront un travail et des frais considérables. Par endroits même, si l’on veut rechercher un plan uniforme, il semble que ces remblais devront atteindre 2 mètres. En principe il vaudrait mieux asseoir les bâtiments sur le terrain naturel.
M. BAUER. — Dans tous les cas point n’est besoin d’un grand plateau naturel pour ce que vous voulez faire. Quand on veut comme ici construire une ville en longueur, et donner à l’ensemble un assez grand développement, on peut s’arranger avec les vallonnements, les plans réduits et les replis de terrain qu’on rencontre. Les grands terrassements ne sont pas toujours indispensables, et il n’apparaît pas qu’il y ait intérêt à chercher une surface plate ni des alignements parfaits.
On se rallie à cette opinion, et l’emplacement est adopté en principe. Il appartiendra au service technique d’établir un plan de lotissement pour l’attribution des terrains aux divers établissements et aux particuliers.
Quant au village indigène, il sera placé en retrait du poste, sur les pentes du Val d’Émeraude en regard de l’Agriculture.
2° Alimentation en eau potable. Adduction d’eau. Éclairage.
M. LE PRÉSIDENT. — Cette question est tout à fait primordiale. Il importe de la résoudre dans le plus bref délai, car le Bokor n’a pas de points d’eau sur place utilisables pendant la saison sèche. Le trapeang situé à 600 mètres environ des 5 Jonques et le Chos-Prom qui à sa sortie de ce réservoir s’engage dans la gorge de l’Agriculture sont à sec à certaines époques, entre janvier et mai.
M. JUBIN. — Il tombe parfois de l’eau dans cet intervalle. La grande sécheresse et la baisse des eaux se ferait surtout sentir du 15 mars à la fin avril.
M. LE PRESIDENT. — Il vaut mieux l’envisager plus largement, de la fin novembre au commencement de mai et prendre des mesures en conséquence.
On passe à la discussion des projets visant une adduction d’eau potable au Bokor.
M. FURE propose de la prendre à un petit cours d’eau, branche de la rivière de Popok-Vil, découvert par MM, BOUTIER, BELOU, et reconnu par M. FURE lui-même à environ 3 kms au Nord de la station du Bokor. Cette rivière ne se tarit en aucune saison, et présente une belle eau courante qui peut donner toute satisfaction. D’ailleurs d’anciennes pagodes annamites et des vestiges d’habitations indiquent que le lieu a été recherché pour son eau. Si l’on fait une canalisation vers le Bokor, il faut compter sur un dénivellement de 150 à 200 mètres, et prévoir un système d’élévation, voire l’installation d’une usine qui pourrait en même temps fournir l’éclairage électrique.
M. BAUER. – Si l’on songe à installer une usine, cet établissement entraînera de grands frais, et il faut se préoccuper d’aphasie de certaines conditions. Cette eau devra être assez abondante pour répondre l tous les besoins, y compris l’éclairage. Est-ce une eau de source ou simplement une eau de ruissellement? Il importerait de savoir aussi le nombre d’habitants qui devront être approvisionnés.
M. LE PRÉSIDENT. — Ce sera aux pouvoirs publics de faire connaître le chiffre approximatif de la population.
C’est une agglomération de 10.000 personnes qu’il faut prévoir
M. FABRE. — On peut compter dès maintenant sur un effectif de 3000 personnes, en comprenant les ouvriers du chantier, et estimer la consommation au moins à 20 litres par tête.
M. LE PRÉSIDENT. — Et pour plus tard c’est une agglomération de 10.000 personnes qu’il faut prévoir. La commission estime qu’il y a lieu d’éclaircir plus amplement certains détails, et ajourne sa décision sur le projet qui sera mis à l’étude.
M. JUBIN soumet une autre proposition. Le trapeang qui se trouve près des Cinq Jonques constitue une réserve d’eau appréciable. Elle est plus rapprochée du Bokor et a une cote plus élevée que le point précédent. Ce trapeang est une cuvette de réception où se collectent les eaux pluviales provenant des hauteurs environnantes. Dans l’état actuel sa capacité est limitée à 800 mètres cubes, l’excédent se déversant dans le Clos-Prom au-dessus d’un bas seuil qui fait communiquer le trapeang avec cette rivière. Mais on pourrait augmenter considérablement sa capacité au moyen d’un barrage qui élèverait l’eau jusqu’à fleur des berges.
Quelques membres soulèvent des objections: Ce trapeang a l’inconvénient de se dessécher en l’absence des pluies. D’autre part cette eau stagnante ne vaudra pas comme qualité l’eau vive qu’on peut trouver par ailleurs. Enfin elle sera exposée à certaines pollutions à cause de sa proximité avec le centre urbain. Cet argument toutefois est le moins important, car il faudra un temps assez long pour que le centre urbain se développe jusque là.
En présence de ces inconvénients la commission préfère en revenir au projet FABRE et attendre des données plus complètes de ce côtés. Le trapeang restera néanmoins comme une ressource précieuse en cas d’insuffisance ailleurs. Il pourra fournir l’eau nécessaire aux usages secondaires tels que toilette, lessive, arrosage des jardins, travaux agricoles, entretien du bétail, et même ouvrages de maçonnerie.
Le Dr BERRET demande une solution provisoire. En attendant l’installation définitive qu’on entrevoit dans l’avenir, où prendre l’eau potable?
M. LE PRÉSIDENT. — Pendant une grande partie de l’année on la trouvera facilement dans les alentours de la station. Pour le reste du temps il faudra faire des réserves. Il y aura lieu d’envisager la construction de citernes, en attendant mieux. Enfin le transport par camions citernes rendra des services.
3° Dénomination de la station.
M. LE PRÉSIDENT estime que a priori toute dénomination siamoise doit être écartée. comme risquant d’éveiller la susceptibilité des Cambodgien.
Les dénominations déjà consacrées par l’usage seront maintenues. La station s’appellera Mont-Bokor. On maintient les termes de Côte d’opale pour le versant tourné vers la mer, Val d’Émeraude pour la gorge où se trouve l’Agriculture. Bella Vista et les Cinq Jonques conservent leurs affectations. Le terme de Terrasse des Éléphants servira à désigner la crête qui revient vers le kilom. 22. Celui-ci prend le nom de Grand Éperon.
Enfin le nom de Popokvil, qui s’applique plus particulièrement aux Cascades et au poste forestier, continuera à désigner en outre toute la région ouverte aux touristes, ainsi que l’usage l’a consacré.
4° Organisation des transports. — Câble aérien.
On a conçu ce projet et les études ont été commencées sur place par M. NAVARRE, sous-ingénieur, pour faciliter le ravitaillement, le transport des matériaux en haut du massif, et décharger d’autant la route qui pourrait à la longue devenir insuffisante pour tous les véhicules et subir des dégradations sérieuses à cause du trop grand charroi. Le câble doit relier en ligne droite le point où se trouve le bungalow de Kampot avec le pic Robinson.
M. NAVARRI consulté déclare qu’il a fait les deux tiers de son trace à fIanc de montagne sans rencontrer jusque là aucune difficulté. Il est donc à présumer que l’installation sera réalisable. Quelques membres émettent des doutes sur son utilité immédiate. On passe outre.
M. LE PRÉSIDENT dit que si l’on doit installer un jour une usine on obtiendra un meilleur rendement par la pose d’un fil avec trolley servant à la traction d’un tramway électrique. Ce sera un moyen de populariser et de généraliser les transports. II est probable que l’indigène n’hésitera pas à payer le prix de passage qu’on lui demandera, car il est plus riche ici qu’au Tonkin.
5° Sanatorium de malades et convalescents.
Le Dr BARRET propose de discuter cette question. On ne saurait envisager de suite la création de cet établissement, mais si on le construit taux ou tard, il est bon de lui assigner une place dès maintenant. Il y aurait intérêt à l’éloigner un peu du centre qui sera fréquenté par les touristes et les gens en villégiature. Sa place paraît être toute désignée sur le plateau. L’atmosphère y est plus calme, la température plus égale que partout ailleurs; il y a moins de vents et de nébulosité que sur les crêtes qui font face à la mer.
Quelques membres discutent la proposition: un sanatorium-hôpital n’est pas immédiatement indispensable; si plus tard on le construit, il ne faudra quand même pas trop l’éloigner du centre, afin d’éviter les difficultés de ravitaillement et des transports onéreux. Il conviendrait donc de l’installer à proximité du Bokor, dans l’une des clairières par exemple qui sont situées de ce côté à la limite du plateau.
La délibération semble terminée. On a passé en revue toutes les questions principales se rapportant à l’aménagement d’une station au Bokor. Un membre demande que l’on examine les autres emplacements possibles, qui présentent certains avantages, tels que le kilom. 22, dit Grand Éperon, où les installations seraient plus vite prêtes, et le lieu des Cascades dont le site est intéressant et le climat parfait.
Le Bokor, le Grand Éperon ou les Cascades ?
Après une courte discussion on procède à un vote sur le choix à faire entre les trois localités mises en présence: le Bokor, le Grand Éperon ou les Cascades. Le tirage se fait par bulletins individuels où chaque localité est classée 1, 2 ou 3 suivant l’ordre de préférence. C’est donc le minimum de points qui doit l’emporter.
Au pointage, le Bokor se classe premier avec 11, le kilomètre 22 second avec 12, viennent enfin les Cascades avec 19 points. Le choix du Bokor comme siège de la future station est sanctionné par la Commission.
La séance est levée à 1 1 heures 1/2.
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Signé: ROUSSEAU, président ; DE FLACOURT, COZETTE, JUBIN, FABRE, BAUER, BERRET, secrétaire.