[…] Menaces de poursuites d’abord, puis poursuites contre la Défense qui se plaignait des dilapidations criminelles de deniers publics, qui avait poussé la population au meurtre.
A cet effet, l’avocat général d’audience alla jusqu’à composer au greffe une reproduction erronée des paroles attribuées à l’un des avocats, et surprit ainsi à la Cour un arrêt de «donné acte» qui ne correspondait pas à la réalité des paroles prononcées; ce passage a d’ailleurs été cité depuis, à la Chambre, par M. le député Voilin, en ces termes :
« Vous pouvez la monter aujourd’hui sans crainte (il parlait de la route qui conduit au palais du Bockor) ; les soubassements sont à l’épreuve, car ils sont consolidés d’ossements humains blanchis.
En haut, en guise du calvaire qui s’imposait — un pardon — c’est un palace qui dresse son orgueilleuse silhouette. Mais, sur ce palace, on a oublié de faire flotter le drapeau noir portant comme emblème un crâne et deux tibias entrecroisés. »
L’avocat qui protestait ainsi contre l’abus des dépenses somptuaires et des sacrifices inutiles de vies humaines, poursuivi devant ses pairs d’abord, puis devant la Cour d’appel, toutes Chambres réunies, fut mis hors de cause avec des considérants justificateurs dont les suivants :
“Le protectorat du Cambodge n’a pas reculé devant la cruelle disproportion entre le nombre élevé de décès dans la main-d’oeuvre et l’importance plutôt faible de l’objectif poursuivi, à savoir la construction d’un hôtel”
« Considérant que, prise en soi, la phrase incriminée signifie que le protectorat du Cambodge n’a pas reculé devant la cruelle disproportion entre le nombre élevé de décès dans la main-d’oeuvre et l’importance plutôt faible de l’objectif poursuivi, à savoir la construction d’un hôtel ; qu’enfin nos couleurs nationales flottent mieux à l’aise là où les bienfaits de la paix française apparaissent plus nettement que sur le chemin de Bokor… »
Et plus loin :
« Considérant que le seul préjudice souffert par la chose publique est en ce fait que des hommes généralement paisibles et respectueux de l’autorité légitime ont été conduits jusqu’au meurtre [celui du Résident Bardèz] par un ensemble de procédés administratifs vexatoires, en absolue contradiction avec les paroles et les enseignements des premiers personnages de l’Etat dressés dans le rayonnement de la tribune française «
« Considérant qu’en Indo-Chine, colonie lointaine soumise au régime des décrets, le pouvoir administratif local est pratiquement sans contre-poids si les milieux judiciaires ne donnent l’exemple d’une opposition sage et modérée ; qu’en effet ni les fonctionnaires silencieux par devoir, ni les commerçants et industriels dans l’attente des faveurs et des commandes administratives, qui réagissent, si parfois l’administration vient à s’égarer.»
Ces incidents firent beaucoup de bruit en Indochine, mais M. Varenne [le gouverneur général] sembla ne pas vouloir les connaître.
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R. A. Lortat-Jacob, avocat à la cour d’appel de Saïgon, délégué de la section cambodgienne de la Ligue des droits de l’homme